Le 17 février 2023
M. Michel Xavier Biang
Président du Comité des Sanctions sur Haïti, Nations Unies
Monsieur le Président
1. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 2653 (2022) du 21 octobre 2022 par laquelle il crée un régime de sanctions concernant Haïti ainsi qu’un comité et un groupe d’experts pour surveiller l’application des mesures de sanctions décidées par le Conseil. Le Comité appuyé, dans ses travaux par un groupe de quatre (4) experts a, entre autres, pour mandat, de suivre l’application des mesures de sanctions en vue de renforcer, de faciliter et d’améliorer leur mise en œuvre par les États Membres, d’examiner les demandes de dérogation aux sanctions et se prononcer à leur sujet ; chercher à obtenir des informations concernant les personnes et entités qui se livreraient aux actes décrits dans les critères d’inscription sur la liste et les passer en revue et d’examiner les informations faisant état de violations ou du non-respect des mesures de sanctions et y donner la suite qui convient.
C’est là une lourde responsabilité qui vous incombe et qui honore votre pays, le Gabon, en tant que président du Comité de Sanctions sur Haïti.
2. Le Canada, un des pays membres des Nations Unies, avant même le travail de la commission d’enquête, a décidé, aveuglément, de précipiter les choses en imposant des sanctions à des personnalités politiques et économiques en Haïti. Une démarche qui ne s’aligne nullement dans la voie tracée par le Conseil de sécurité pour l’application de la résolution 2653(2022) du 21 octobre 2022.
3. C’est avec stupéfaction que j’ai lu sur les réseaux sociaux, le 20 novembre 2022, que le Canada m’a associé, moi, Jean-Henry CÉANT, à une liste de personnalités soutenant la criminalité en Haïti par le financement des groupes armés. Je verrai plus tard, avec indignation, mon nom dans la rubrique intitulée : « Particuliers, Rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationale » du journal officiel du Canada, « La Gazette » publiant “les règlements sur les mesures économiques spéciales visant Haïti. DORS/2022-226”.
4. En août 2018, j’ai accepté la fonction de Premier ministre d’Haïti, à la demande du président Jovenel Moïse dans un contexte extrêmement difficile. Un pays en proie aux actes et actions parfois excessifs d’un peuple chauffé à blanc, à la colère des citoyens exprimée les 6 et 7 juillet 2018 à travers les rues par la casse et des brutalités de toutes sortes ; un pays traversé par les activités de bandes armées ; un pays surchauffé par les revendications des Jeunes Petro-challengers et de l’opposition politique. La somme de mes actions pendant ces six (6) mois à la tête de la Primature a toujours été saluée par la communauté internationale et la couche saine de la population. Ma personnalité, ma sagesse, mon entregent et mes capacités de rassembleur m’ont permis de calmer le jeu jusqu’à réunir dans une même salle plus de 250 délégués de l’opposition politique face au président de la République pour lancer le Dialogue et proposer un Pacte de gouvernabilité ; ce, en présence de la communauté internationale le 22 janvier 2019.
5. En tant que démocrate convaincu et professionnel du droit, j’appuie fortement la démarche des Nations Unies à travers la résolution 2653 (2022) qui traduit une volonté manifeste de réprimer la criminalité en Haïti. Cependant, la lutte pour le respect et la consolidation des droits de l’homme et le maintien de la paix partout dans le monde est trop importante et trop sérieuse pour qu’elle fasse l’objet de tractations susceptibles d’entacher les principes fondamentaux de la charte des Nations Unies. Aucun pays, aucun État, encore moins les Nations Unies qui constituent le bastion par excellence de la garantie de droits de l’homme, ne doivent affecter eux-mêmes le principe universel du respect des droits de l’homme sur lesquels ils se sont engagés dès le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
6. La transparence constitue l’un des piliers fondamentaux de la démocratie et de l’État de droit. S’il y a des accusations, c’est qu’il existe des preuves. Que la partie qui accuse rende ses preuves publiques ! Est-ce qu’on peut empêcher un citoyen d’avoir accès à un dossier d’accusation à l’encontre de sa personne ? Pourquoi le gouvernement canadien me refuse-t-il l’accès au dossier des charges m’incriminant, ce que j’ai demandé par le biais de mon avocate depuis le 23 novembre 2022 ? Pourquoi mes différentes requêtes auprès même des autorités d’Haïti, également membre des Nations Unies, restent aussi sans réponse ? C’est une violation sans précédent des droits humains qui engendre des conséquences incalculables tant du point de vue matériel que du point de vue moral des victimes, voire même la mort civile des sanctionnés arbitrairement.
7. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques me garantit le droit à l’accès au dossier de sanctions émises par le gouvernement du Canada à l’encontre de ma personne et me garantit le droit à un procès. L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule
: « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations à caractère civil. » Est-ce qu’on peut empêcher un citoyen de se défendre ?
8. Dans le cadre de la mission qui vous incombe et dans ma quête de réhabiliter mon intégrité physique et morale et celle de ma famille, aujourd’hui entachée par le Canada, je vous informe, par la présente, que je suis à votre entière disposition et celle du groupe d’experts pour répondre à toutes questions et apporter toutes informations pertinentes qui pourront être utilisées ou non dans votre rapport. Parallèlement, je reste engagé et mobilisé sur toutes les options de droit capables de contribuer à ramener la paix et la tranquillité dans mon pays, Haïti, et capables de contribuer à maintenir et consolider la paix dans le monde.
Recevez, Monsieur le Président du Comité des Sanctions, mes plus distinguées salutations.
Me Jean-Henry Céant
Avocat, ancien Premier ministre d’Haïti (2018-2019)
Voici la correspondance
Le 1er Février 2023
M. Ariel Henry Premier Ministre République d’Haïti
Primature
Monsieur le Premier Ministre, Dans mes multiples efforts pour combattre le grand banditisme j’ai, pendant mon passage à la Primature, mobilisé plusieurs structures contre la corruption, le blanchiment des avoirs et le détournement des fonds de l’Etat.
Dans la même lancée, j’ai créé et mis en place le 27 Février 2019 la Commission Nationale de Désarmement, de Démantèlement et de Réinsertion (CNDDR) sous la tutelle du Premier Ministre.
Dans ses nombreuses démarches pour le rétablissement de la paix publique, cette Commission s’est donné pour tâche, entre autres, l’identification des bandes armées, de leurs chefs, de leurs supporteurs et de leurs financeurs.
A ce compte, de grandes révélations ont été faites dans la presse au point que l’un de ses membres avait annoncé à grand renfort de publicité que la Commission avait répertorié et identifié les onze (11) familles qui appuient les gangs et assurent leur approvisionnement en armes et munitions.
Indexé arbitrairement et puni sans preuve, ni élément de preuve, ni indice par le Canada prenant des sanctions contre moi qui m’ont causé de graves préjudices tant matériels que moraux, je me suis adressé, par lettre en date du 11 Janvier 2023 à la CNDDR dont vous, actuel Premier Ministre de mon pays, êtes le responsable. C’est en cette qualité que je vous saisis pour vous demander de manière expresse d’appointer la CNDDR à répondre, en toute diligence, à mes requêtes et questions consignées dans ladite lettre dont je vous donne copie. Ma personne physique, mon image sociale et professionnelle, sont mises en danger par ces légèretés du Canada mais lourdes de conséquences pour le citoyen digne que j’ai toujours été et la réputation d’honorabilité dont je jouis au sein de la communauté haïtienne d’Haïti et de l’étranger. C’est, en vérité, une situation qui mérite un redressement célère pour moi et pour ma famille. Je continue à croire et à compter sur votre intervention pour obliger la CNDDR à répondre à ma lettre et ainsi dissiper tous les doutes et allégations faisant croire que la Primature actuelle serait à la base du silence de la CNDDR. Je tiens, en outre, à rappeler ici, que toute ma correspondance adressée aux différentes instances nationales et internationales vous a été respectueusement communiquée.
L’obligation d’assistance à personne en danger vous astreint, Monsieur le Premier Ministre, à être très vigilant et proactif dans la défense des droits de tous les citoyens haïtiens et à fortiori de ceux qui ont sacrifié une partie de leur vie dans la lutte pour le relèvement de notre pays.
Dans l’espoir que vous comprendrez le sens de ma démarche, je Vous prie, Excellence Monsieur le Premier Ministre, de croire dans mes patriotiques salutations.
Me Jean-Henry Céant Avocat Ancien Premier Ministre d’Haïti
PJ : Lettre à la CNDDR
CC :
- Haut-Commissariat des Droits Humains des Nations Unies - Commission Canadienne des Droits de la Personne
- Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme
- Commission Européenne des Droits de l’Homme
- Office Protection du Citoyen
- Commission des Sanctions sur Haïti du Conseil de Sécurité